Le Petit Cephalophore

dimanche, décembre 06, 2009

MISSION... CHOCOLAT !

Visite de Noël aux commerçants

Etat des lieux et mise en perspective...

Depuis décembre 2003 la paroisse Saint-Denys du Saint-Sacrement rend visite aux commerçants du quartier une semaine ou deux avant la fête de Noël pour leur offrir un ballotin de chocolats et une carte signée du curé.



Prêtres, séminaristes et paroissiens y participent depuis 6 ans maintenant et le moment est venu de réfléchir à cette expérience qui reste modeste mais qui s’inscrit désormais dans la mémoire paroissiale.


Historique :
Nommé curé à Saint-Denys du Saint-Sacrement en septembre 2003, j’ai dû faire face dès mon arrivée à une demande du séminaire d’organiser – pour que les séminaristes puissent y participer - une mission dite « de Noël ». Le père Callies, mon prédécesseur, organisait tous les ans des bénédictions de maison. Les Français me semblant moins gourmands de bénédictions que les Italiens ou les Espagnols et la bénédiction ne pouvant pas être une proposition réitérable chaque année dans les mêmes habitations j’ai voulu initier une autre pratique. Que faire ?

Des visites « porte à porte » chez les habitants d’un quartier se pratiquant ici où là, et ayant moi-même participé à des initiatives de ce genre, j’ai choisi d’adapter la proposition en la limitant aux commerçants. Ainsi est née l’idée d’une visite de Noël aux commerçants. Restait à trouver un support concret justifiant notre visite : la première année ce fut une simple mais belle carte de Noël, vite remplacée par des ballotins de chocolats et une carte plus modeste.

Et en décembre 2003, les séminaristes et une douzaine de paroissiens se sont lancés dans cette aventure, craintifs et tremblants, avec parfois pour seule motivation (certains me l’ont dit après coup) de soutenir le nouveau curé et ses idées un peu bizarres !

Cette expérience menée depuis 6 ans maintenant est modeste et n’entend évidemment pas épuiser la question complexe et infiniment plus large de la mission de l’Eglise ! Mais je voudrais essayer ici d’en éclairer les intuitions et de répondre à quelques objections que j’ai entendues…


Des questions…

En septembre 2006 un questionnaire préparatoire à la visite pastorale programmée par notre évêque avait été proposé à tous les paroissiens de Saint-Denys. Les réponses qui nous étaient parvenues manifestaient que pour environ 90 % des paroissiens la mission nous concernait tous, ici et maintenant, et qu’elle devait s’adresser au plus grand nombre. 50 % des paroissiens estimaient que le lieu de la mission était le quartier. Et pourtant seulement 20 paroissiens (sur 450 environ) participent à la visite de Noël aux commerçants. Comment comprendre ces chiffres contradictoires ?

J’en conclus que la proposition de visiter les commerçants à l’approche de Noël n’est pas comprise ou qu’elle rencontre des résistances, des hésitations, des questions… J’en énumère rapidement quelques-unes ici en les formulant de manière un peu caricaturale :

 « Aborder les gens comme ça dans les magasins ? C’est du prosélytisme, la mission ce n’est pas ça !»
 « Totalement inutile ! Vous croyez vraiment que ça va les faire revenir à l’Eglise ? »
 « Nous sommes en France, la religion est une affaire privée. Que faites-vous de la laïcité ? »
 « Noël ? Ce n’est vraiment pas le bon moment pour les commerçants : c’est la période la plus chargée de l’année ! »
 « Qu’est-ce qu’ils vont penser de nous ? On risque d’être mal compris… »
 « Houlala ! C’est trop difficile, je ne saurai pas faire ! »
 « C’est superficiel et forcé, il n’y a pas vraiment de rencontre avec eux, il faudrait d’abord nouer une vraie relation amicale »

Je ne vais pas répondre une à une à toutes ces remarques mais je voudrais, dans les pages qui suivent, essayer de remettre cette initiative dans la perspective plus large de la mission de l’Eglise et faire valoir quelques motifs qui me semblent inviter à poursuivre l’expérience.

La mission de l’Eglise :

A/ Initiative et annonce :

« Allez donc, de toutes les nations faites des disciples. Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mathieu 28,19).

Le message est clair et depuis le commencement l’Eglise s’emploie à y rester fidèle. Sa mission est donc d’annoncer l’Evangile pour faire des disciples et les baptiser. Nous pouvons déjà dégager deux points importants :
 la mission suppose une initiative, il s’agit d’ « aller vers » (et notre évêque insiste : il s’agit d’ « aller vers » ceux qui ne nous demandent rien).
  La mission engage une annonce explicite : devenir disciple du Christ et se faire baptiser suppose que l’initiative n’ait pas été que de pure convivialité, il y a un contenu, une visibilité… La forme de la mission peut connaître des modalités différentes et doit faire l’objet d’un discernement mais il faudra bien une initiative et une annonce.

Paul VI, dans son exhortation apostolique Evangelii nutiandi (1975) et Jean-Paul II, dans son encyclique Redemptoris missio (1990), ont précisé quelles devaient être les modalités pratiques de cette mission. Ils s’accordent à dire que la mission est une somme complexe d’activités multiples. Il s’agit de bien articuler toutes ces activités entre elles : mission ad gentes (mission vers les pays non encore évangélisés), « nouvelle évangélisation » (vers les pays déjà évangélisés), témoignage de vie, annonce explicite du Christ, catéchisme, actions caritatives, inculturation, développement intégral de l’homme, prière et vie sacramentelle… Tout cela fait partie de la mission de l’Eglise et concourt à l’annonce de l’Evangile. Il ne s’agit donc pas d’opposer les différentes modalités de la mission mais de voir leur complémentarité, leur commune nécessité et de discerner - selon les lieux et les moments – les priorités qui s’imposent.

B/ Nouvelle évangélisation ?

La formule est utilisée pour la première fois par Jean-Paul II en 1983 et est devenue au fil des ans une façon de désigner la forme spécifique de la mission dans les pays ayant déjà vécu une première évangélisation. Cette « nouvelle évangélisation », disait Jean-Paul II, doit être «nouvelle par son ardeur, ses méthodes et son expression».

A la suite des papes, nos évêques invitent à retrouver le sens et l’importance d’une annonce. Pour des raisons historiques nous n’y sommes pas prêts puisque notre pays, pendant des générations, a été habitué à ce que la très forte majorité de ses habitants soient catholiques. Dans un tel contexte la nécessité de la mission ne se faisait guère sentir : quoi annoncer et à qui si tout le monde est déjà chrétien ?

Cette époque est révolue : si 50 à 60 % des Français se disent encore catholiques dans les sondages, seulement 30 % des enfants scolarisés à Paris sont catéchisés. Nous sommes désormais dans une situation de très forte rupture quant à la transmission.

La nouvelle évangélisation s’inscrit dans ce contexte. Elle est la réponse de l’Eglise à une nouvelle situation.

C/ La laïcité ?

Ce renouveau de la mission auquel nous sommes appelés s’inscrit dans un monde qui a des caractéristiques politiques, culturelles, sociales, religieuses, économiques… Une de ces composantes est la laïcité, héritage français complexe qui apparaît à beaucoup comme un frein.

 L’histoire de France des deux derniers siècles a fait que les relations entre l’Eglise et la société ont été malmenées. Révolution française et constitution civile du clergé ; révolution de 1848, Commune et montée en puissance de la république radicale qui renforce l’anticléricalisme ; loi de 1905 instituant la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; crise moderniste ; développement des idéaux de liberté, d’égalité, d’émancipation ; Mai 68 ; Humanae Vitae et la pilule ; loi Veil sur l’avortement… Sans doute notre histoire est-elle plus complexe et plus nuancée mais ce raccourci permet de comprendre l’impression laissée que la démocratie et la modernité se sont construites contre l’Eglise et que l’Eglise a mis du temps à réévaluer sa position dans notre société et à se réapproprier positivement sa mission. La laïcité dont nous héritons a traversé cette histoire et peut apparaître comme une laïcité de combat, hostile à l’Eglise. Mais n’est-elle vraiment que cela aujourd’hui ?

 Nous avons tellement intériorisé cette histoire que nous en arrivons à penser que la laïcité est la garantie d’un espace public neutre, que la foi est une affaire privée, que toutes les questions peuvent être débattues dans un établissement scolaire sauf celle de la religion, et qu’il est impossible (interdit ?) d’exprimer publiquement sa foi. Mais si la laïcité pose des limites elle est aussi fondamentalement garante de la liberté religieuse. Tout citoyen a le droit de croire en Dieu et de pratiquer sa religion. Pourquoi la dimension religieuse ne pourrait-elle pas alors s’exprimer dans le débat démocratique ou dans l’espace public ? Pourquoi avoir la «religion honteuse» ? La foi a une dimension sociale et la loi en France n’interdit pas de la vivre.

 Nous sommes, avec raison, attachés aux Droits de l’Homme. Nous considérons comme un bien précieux la protection des libertés individuelles. Nous sommes devenus extrêmement sensibles à toute atteinte à la liberté de conscience. Cela est vrai au point qu’affirmer sa foi dans un débat - sensé caractériser la démocratie à laquelle nous sommes par ailleurs attachés – passe parfois pour du « prosélytisme » qui ne respecterait pas l’esprit laïque de notre pays. Mais la laïcité n’interdit à personne de participer à un débat public ou d’affirmer publiquement ses convictions ! Et la possibilité d’affirmer librement une conviction religieuse non seulement ne brime en rien la liberté de penser de nos concitoyens mais est une condition d’un vrai débat démocratique. Il convient bien sûr de vérifier que la façon d’affirmer notre foi est en cohérence avec la foi elle-même et donc en particulier de veiller au respect dû à toute personne humaine. Nous sommes invités à plus d’audace, une audace qui est tout simplement celle de la mission.


D/ L’Eglise se fait "conversation" :

Paul VI dans son encyclique Ecclesiam Suam (1964) plaçait la mission sous le signe de la conversation : «L'Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Eglise se fait parole. L'Eglise se fait message, l'Eglise se fait conversation» (ES § 67).

L’annonce qui caractérise la mission de l’Eglise doit se faire dans ce cadre d’une conversation avec le monde. Il ne s’agit pas d’une annonce abrupte mais d’un échange. Cette catégorie de la «conversation» peut rassurer ceux que le terme de «mission» inquiète. La conversation est comme le cadre culturel à l’intérieur duquel l’annonce peut se faire. La conversation, ou le dialogue, est une approche pertinente dans un contexte démocratique. Il s’agit alors de faire valoir la Parole Unique dont l’Eglise est porteuse à l’intérieur de cet échange avec le monde.

Cette conversation est une attitude du cœur qui peut prendre différentes formes. La visite des commerçants au moment de Noël est une des façons d’entretenir avec le quartier – à travers ses commerçants qui le font vivre – cette conversation amicale. D’année en année un apprivoisement, discret et patient, se fait entre le quartier et la paroisse, dont le visage est ainsi rendu visible.

Un visage plutôt souriant, dit-on…


La visite de Noël aux commerçants :

Pour terminer je voudrais évoquer quatre points qui me semblent caractéristiques de cette action.

1. Une mise en route : Cette visite de Noël aux commerçants n’est pas la panacée, elle ne prétend à rien d’autre que d’être une initiative modeste vers le quartier, elle ne doit pas absorber toute l’énergie de la paroisse mais elle a aussi, symboliquement, valeurs de « mise en route » pour toute la paroisse. Le Pape, notre évêque, l’Eglise nous invitent à trouver de nouveaux chemins d’annonce de l’Evangile. C’est une tâche. Il faut se mettre en route, essayer, même à tâtons, d’aller vers ceux qui ne nous demandent rien. Nous avons commencé. Il faut continuer. La forme et les moyens peuvent évoluer en chemin. A condition de nous mettre en route.

2. Le contexte de Noël : Ce contexte est porteur ! Cette fête reste encore un repère, réduit parfois à pas grand chose mais un repère quand même. Cette fête est un moment propice aux cadeaux, à l’amitié, aux visites. Cette fête est un moment particulier de l’année qui dégage une atmosphère positive, paisible, confiante. L’expérience montre que nous sommes bien accueillis.

3. La gratuité : Nous allons chez les commerçants deux par deux pour leur offrir un cadeau : un ballotin de chocolats et une carte signée du curé. A travers vous c’est la paroisse, c’est-à-dire l’Eglise, qui leur rend visite. Et nous allons vers eux comme le Christ est venu vers les hommes : sans calcul, pour manifester à travers nos pauvres moyens l’amour incompréhensible de Dieu pour chacun. Un des traits caractéristiques de l’amour de Dieu c’est la gratuité : non pas une gratuite fictive, non pas une gratuité naïve comme celle dont nous habillons parfois nos intentions mais la gratuité divine de l’amour. En quoi consiste-t-elle ? Lorsque Dieu aime, Il attend avec impatience une réponse mais il a aussi - privilège divin - la capacité infinie d’attendre indéfiniment avant qu’une réponse d’amour ne commence à naître. Nous donnons gratuitement le ballotin et la carte. Rien en échange. Il nous faut donc recommencer chaque année avec douceur et patience, le cœur libre.

4. Les commerçants : Ils font vivre le quartier, notre visite est une façon de les honorer et de leur dire notre présence amicale. Nous passons pour leur offrir un modeste cadeau. Nous sommes pour eux le visage de la paroisse avec laquelle, par ailleurs, la plupart d’entre eux n’a aucun contact. Un lien est ainsi tissé, de commerçant en commerçant, entre le quartier et la paroisse. Ils se connaissent, il y a des réseaux : «ça cause» un quartier ! Beaucoup ont repéré notre visite et fait le lien avec l’église de la rue de Turenne, certains me remercient ou demandent à voir le curé. Je leur rends visite en janvier.

Père Paul Quinson
Avent 2009


 

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