Déclaration du conseil permanent de la Conférence des évêques de France 20 juin 2016
2017, année électorale :
quelques éléments de réflexion
La France va vivre une année électorale
importante avec l’élection présidentielle et les élections législatives. À la
veille de ce qui doit être un authentique débat démocratique, nous souhaitons
appeler nos concitoyens à tenir compte de certains enjeux qui nous paraissent
engager notre avenir de façon déterminante. Nous le faisons à la lumière de nos
convictions enracinées dans la tradition chrétienne et des textes publiés par
le Pape François au cours des années écoulées.
1. Démocratie et société de
violence
La pratique démocratique établit des règles de débat qui permettent de
confronter des convictions et de choisir pacifiquement entre différents projets
de société. Quand la vie démocratique tombe dans le discrédit ou l’impuissance,
les intérêts particuliers et les groupes de pression s’habituent à user de
leurs moyens de contrainte pour forcer les responsables politiques à satisfaire
leurs demandes. L’excès de lois trop circonstancielles émousse la force de la
loi et le respect qui lui est dû. On s’efforce de dénier les procédures
démocratiques pour obtenir par la contrainte, ou même la violence, ce que l’on
n’a pas obtenu dans les urnes. Si nous voulons progresser dans les pratiques
démocratiques, nous devons promouvoir l’exercice du droit de vote en
développant dans la société un véritable débat qui échappe aux postures, aux «
petites phrases » et aux ambitions personnelles. Le jeu médiatique, établi sur
la mise en valeur excessive de la polémique et de la dénonciation, focalise
l’attention générale sur des conflits de personnes ou des ambitions
particulières en négligeant les convictions et les propositions argumentées. Il
fait apparaître les projets et les candidats comme un jeu de rôles dans
lesquels les enjeux ne sont présentés que comme des prétextes. Il ne favorise
pas la confrontation pacifique, mais en développant la violence verbale, il
contribue à développer une sorte d’hystérie de la vie publique. Pour favoriser
un véritable débat national, la campagne électorale à venir devra éviter les
risques de crispations identitaires tout en faisant droit au fait national :
nos racines, notre culture, notre patrie avec son histoire, ses responsabilités
et ses atouts, la place et l’importance du fait religieux et des religions.
2.
Pour un projet de société
Le débat démocratique n’est pas une fin en soi. Il
est au service de la confrontation entre des opinions et des projets. Il doit
donc être une occasion d’expliciter quel projet de société nous voulons
soutenir et promouvoir. Trop souvent les critères mis en avant se limitent à
envisager et exprimer les données économiques, comme si l’économie était le
seul facteur de construction de la qualité de la vie humaine, personnelle et
collective. L’être humain est plus qu’un élément du processus économique. Les
progrès technologiques et économiques doivent être au service du bien de tous
et non seulement du profit de quelques-uns. C’est donc vers une économie du
partage que nous devons avancer, vers un partage plus équitable du travail et
des fruits du travail. La qualité humaine d’une société se juge aussi à la
manière dont elle traite les plus faibles de ses membres : ceux qui sont
laissés au bord du chemin de la prospérité, personnes âgées, malades, personnes
handicapées… Nous ne pouvons être indifférents à aucune victime de notre
société. Nous sommes responsables du respect de toute vie de son commencement à
sa fin.
3. Vers un pacte éducatif
Ces progrès de la pratique démocratique vers
une vie sociale paisible et plus fraternelle passent, nous le savons tous, par
une meilleure qualité de l’éducation des jeunes. Cette amélioration toujours
nécessaire repose sur la qualité de la scolarisation qui est trop souvent
soumise à des réformes auxquelles on ne donne pas le temps de porter leurs
fruits et sur lesquelles on ne fait que trop rarement une véritable évaluation.
Mais surtout elle passe par une confiance à rétablir entre les familles et
l’école. Pour le bien des enfants, c’est un véritable pacte éducatif qui doit
unir les familles et l’école, non une concurrence, moins encore une méfiance.
Toutes les dispositions législatives ou réglementaires qui affaiblissent la
stabilité des familles et les moyens d’exercer leurs responsabilités ne peuvent
jamais être compensées par une exigence incantatoire envers l’école. La
marginalisation d’un nombre croissant de familles, les mesures qui brouillent
la filiation, celles qui favorisent les divorces et l’éclatement des familles
sont payées très cher par leurs premières victimes : les enfants. On ne peut
pas espérer faire progresser la cohésion sociale en négligeant son tissu
nourricier qui est la cohésion familiale. Les liens entre l’éclatement des
familles, l’échec scolaire, la marginalisation des jeunes, parfois jusqu’à la
délinquance, sont avérés, même si nous ne souhaitons pas le reconnaître. Les
travaux du synode des évêques sur la famille, repris par le Pape François dans
l’Exhortation Apostolique Amoris laetitia (La joie de l’amour), rappellent
combien une famille unie est une ressource pour l’avenir et une espérance pour
le bien de tous.
4. Solidarité
Une société vivante ne peut pas être la simple
addition d’intérêts ou d’accords particuliers. Elle repose nécessairement sur
la recherche du bien commun et la mise en œuvre de moyens de solidarité
efficace. C’est une des grandes responsabilités de l’État d’organiser cette
solidarité, surtout dans les périodes de grandes difficultés économiques.
Partager dans les périodes d’opulence peut paraître relativement indolore : il
ne s’agit que de distribuer le superflu. Dans les périodes de restriction, il
s’agit de partager en prenant sur le nécessaire. Dans notre société, l’écart
entre ceux qui peuvent compter sur la sécurité et ceux qui sont plongés dans la
précarité ne cesse de s’accroître. De plus en plus de nos concitoyens ne
peuvent plus bénéficier du droit au travail. Il est illusoire de penser que des
indemnités financières peuvent compenser cette carence. La fragilité de
l’emploi suscite des crispations de la part de ceux qui jouissent d’un emploi
garanti et d’avantages sociaux assurés. La défense des droits acquis se
substitue à la volonté de partager et d’intégrer de nouveaux bénéficiaires. Les
plus jeunes sont les premières victimes d’un système inégalitaire. Pourtant
beaucoup d’entre eux attendent d’être appelés pour prendre leur place dans
notre société. Alors que le dynamisme économique suppose des encouragements
durables à l’initiative et à la prise de risque, l’État doit gérer positivement
la tension entre un libéralisme sans contrôle et la sauvegarde des mécanismes
de protection sociale (assurance maladie, retraite, chômage, etc.). Cet
objectif doit nécessairement ressortir des projets soumis au vote des citoyens.
5. Migrants
Dans une époque où les distances et les frontières s’effacent
devant la mondialisation économique et culturelle, notre volonté de solidarité
ne peut pas s’enfermer dans le cadre restreint de notre pays. Les événements
dramatiques qui frappent les populations du Moyen-Orient ou d’Afrique jettent
sur les routes et sur la mer des centaines de milliers de réfugiés, véritables
naufragés humains. Quand la Jordanie et le Liban reçoivent des millions de
réfugiés, comment notre pays pourrait-il reculer devant la perspective
d’accueillir et d’intégrer quelques dizaines de milliers de ces victimes ? Mais
plus largement que l’accueil des réfugiés, nous devons nous interroger sur la
manière dont nous traitons des migrants arrivés dans notre pays depuis
plusieurs années. Est-il aujourd’hui tolérable que des milliers d’hommes de
femmes et d’enfants vivent sur notre territoire dans des conditions trop
souvent inhumaines ? Une volonté d’intégration ne peut se réaliser sans accompagnement
des ruptures culturelles. La seule recherche de solutions économiques est vouée
à l’échec si rien n’est entrepris pour la promotion culturelle, promotion d’une
culture enracinée, qui donne ou redonne le sens d’une vie collective nationale.
6. Europe
Nous sommes bien conscients que la France, à elle seule, ne peut
solutionner ces situations dramatiques. Nous ne pouvons contribuer à les
soulager que dans le cadre de la solidarité européenne. D’une certaine façon,
notre vieille Europe joue son avenir dans la manière dont elle réagit. Soit
elle nourrit l’illusion de pouvoir barrer la route à toutes les misères pour
protéger sa relative prospérité, soit elle s’engage courageusement dans des
politiques d’accueil. L’accueil serait aussi une illusion s’il ne
s’accompagnait pas de véritables programmes de soutien dans les pays d’origine
des migrations : soutien économique et soutien politique pour lutter contre la
misère endémique et les procédés antidémocratiques de certains gouvernants.
Cette lutte doit suivre les engagements internationaux pris pour l’aide au
développement et peut conduire à des interventions dans différents pays, comme
la France l’a fait au cours des années écoulées. Mais le projet européen ne
peut se poursuivre ni se développer sans une véritable adhésion des peuples
d’Europe. Cette adhésion suppose de respecter davantage le fait historique et
culturel des nations qui composent le continent. Une véritable pratique de la
subsidiarité, telle qu’elle est inscrite dans ses textes fondateurs, serait une
nouvelle chance pour l’Europe.
7. Ecologie
Il y a à peine un an, la tenue en
France de la Cop21, nous sensibilisait à notre responsabilité commune envers
l’humanité. Le Pape François nous a rappelé gravement cette responsabilité dans
l’encyclique Laudato si. L’enjeu écologique n’est pas simplement une vision
naturaliste du monde, c’est une prise de conscience morale des risques de
déséquilibre climatique et économique que court la planète. Responsables de la
« maison commune », il nous faut mieux tenir compte des dégâts que provoque une
société tout entière fondée sur l’augmentation de la consommation. Nous avons
la charge d’un monde qui a ses limites et nous ne pouvons pas l’épuiser comme
s’il était sans limites. La sagesse nous invite à revoir nos modèles de
consommation et à inventer un monde moins destructeur et plus juste. Devant les
défis auxquels notre société est confrontée, le risque principal serait de
renoncer à lutter pour l’avenir et de céder à la tentation du fatalisme. Trop
de nos concitoyens en sont arrivés à croire que la situation est bloquée et que
personne n’est capable de la débloquer. Les ressources de notre pays,
ressources économiques, humaines, culturelles et spirituelles nous permettent
de rejeter ce fatalisme. Elles engagent chacun et chacune à exercer son
discernement et sa responsabilité pour le bien de tous. Pour celles et ceux qui
ont foi en Dieu et qui vivent dans la communion au Christ, les difficultés que
nous rencontrons ne sont pas un appel au renoncement. Au contraire, elles nous
acculent à investir toutes nos capacités pour construire une société plus juste
et plus respectueuse de chacun. Cela s’appelle l’espérance.
Le Conseil
permanent de la Conférence des évêques de France
Mgr Georges PONTIER,
Archevêque de Marseille, président de la CEF Mgr Pierre-Marie CARRÉ, Archevêque
de Montpellier, vice-président de la CEF Mgr Pascal DELANNOY, Évêque de
Saint-Denis, vice-président de la CEF Cardinal André VINGT-TROIS, Archevêque de
Paris Mgr Jean-Claude BOULANGER, Évêque de Bayeux et Lisieux Mgr François
FONLUPT, Évêque de Rodez Mgr Hubert HERBRETEAU, Évêque d’Agen Mgr Jean-Paul
JAMES, Évêque de Nantes Mgr Stanislas LALANNE, Évêque de Pontoise Mgr Benoit
RIVIÈRE, Évêque d’Autun, Chalon et Mâcon