Le Petit Cephalophore

lundi, avril 27, 2020

Marin, confiné volontaire (version longue de l'article du CC7)

Hervé D, paroissien de Saint-Denys, est embarqué sur un navire-câblier, actuellement en opération en Asie. Il nous raconte la pandémie vue de son bateau. 

Lorsque j’ai quitté la France, fin février 2020, la pandémie qui sévit actuellement dans notre pays, ne portait pas encore de nom. Elle n'était qu'un mal qui ravageait une part infime de l'immense territoire chinois et nous la découvrions à travers des images entraperçues via les multiples écrans qui peuplent nos univers. Devant me rendre au Japon, je m'étais toutefois assuré auprès de la "direction armement", que notre transfert aérien vers Kita-Kyushu, lieu où je devais rejoindre le navire sur lequel j'allais embarquer, ne nous ferait pas transiter par Shanghai, "hub" désormais majeur en Asie.

Embarquement à Tokyo
Ainsi, après un vol direct pour Tokyo, nous avons touché le sol japonais où aucune précaution particulière n'était prise contre le coronavirus. Seules, comme à l'accoutumée, les personnes grippées portaient des masques, symboles de la légendaire discipline et distanciation naturelle que respecte cette population nombreuse et soucieuse de l'autre. Pour notre part, des masques de type FFP1, nous avaient bien été remis par notre direction, avant notre départ de France, mais nous ne jugions absolument pas utile, d'imiter nos hôtes. 




Cap sur la mer de Chine
Le lendemain, nous étions à bord du N/C René DESCARTES, pour nous rendre en mer de Chine, où nous devions conduire nos opérations d'installation d'un câble sous-marin. Ou plus exactement de deux segments, l'un venant compléter un système optique de qualité standard, l'autre constitué d'un câble à vocation "scientifique", à poser autour de Taïwan, pour surveiller les mouvements de terrain et autre éruptions sous-marines qui accompagnent le quotidien d'une île qui n'est pas uniquement menacée par sa grande sœur continentale. Nous sommes donc partis pour mener la première partie des opérations, avant une escale programmée à Kaohsiung (Taïwan), afin de nous ravitailler et de conduire les formalités nous permettant de travailler dans les eaux taïwanaises. Ainsi, les opérations ont pu commencer le 21 février, toutefois fréquemment interrompues par des conditions météorologiques difficiles et la présence du KuroShio, un courant marin violent et transversal - largement défavorable pour qui souhaite une progression linéaire.

La Corée touchée de plein fouet 
Cependant, c'est bien de terre, que soufflait le vent le plus mauvais. Après la Chine, la Corée du Sud était à son tour atteinte par un étrange syndrome pulmonaire qui en quelques jours avait contaminé plusieurs milliers de personne. Nous étions avertis de ces dérèglements par un site que je scrutais avec attention depuis le début de mon embarquement et qui désormais apparaissait en favori sur tous les ordinateurs du bord doté d’internet. Aussi, dès le 4 mars, dans la perspective d'une escale future à Kaohsiung, nous avons mis au point, avec le médecin du bord, une procédure, pour faire en sorte que le navire reste "sain". Des mesures simples, de confinement, de consignation, de protection et d'évitement, qui consistaient - contrairement à la tradition maritime des marins de commerce basée sur l'échange le plus large -, à nous retrancher dans notre citadelle d'acier, en limitant au strict nécessaire les contacts avec nos partenaires habituels (pilote, agents, autorités, fournisseurs, dockers, clients…), désormais suspectés des pires maux.

La France trop insouciante
Nos difficultés opérationnelles s'amplifiant, l'échéance perpétuellement repoussée de l'escale à Kaohsiung, nous a permis d'ausculter avec plus d'acuité, ce qui pour l'Europe entière restait un sujet éloigné de ses priorités. Il faudra attendre le 13 mars pour que le président français, avec probablement une semaine de retard, devant les ravages du désormais COVID-19 dans la péninsule italienne, ne contraigne les Français à se calfeutrer, après un dernier week-end d'insouciance et de maintien des élections, qui, vu d'Asie, paraissait être une décision totalement hallucinante. De mon balcon sur la mer, isolé par des horizons vides de toutes menaces, j’ai invité ma famille restée en France à se retrancher derrière les murs épais de la solitude pour une retraite obligée mais non subie, à l'identique de celle des marins. 

Débarquement de deux membres de l’équipage
Avant que la farandole des fermetures de frontières, qui commençait alors, ne nous interdise toute circumnavigation, nous avons redoublé d'ardeur, en sillonnant la mer de Chine en tout sens, accompagnés d'une « charrue », chargée d’enterrer le câble dans des sols durs. La bataille avec les éléments que nous a imposé dame nature a été âpre et nous avons dû déployer toute la panoplie d'une solide expérience maritime, pour surmonter un à un les obstacles dressés sur notre route. Ce dépassement permanent différentie les hommes libres de… leur emprisonnement volontaire, de ceux qui se laissent happer par les tourments de l'âme. Ces « ailleurs » ne se remplissent que de ce qu'on y amène et malmènent ceux qui ne réussissent pas à partager les valeurs prosaïques qu'impose le labeur maritime fait de gestes répétitifs et de routines. Les "défaillants", faciles à identifier, se retranchent en général, sur toutes les formes de communication moderne mises à leur disposition, qui ne leur apportent au final qu'un secours très temporaire et souvent trompeur. Le débarquement devient la seule option, rendue possible, cette fois-ci, à titre dérogatoire par des autorités japonaises, qui après examen de notre isolement et sous réserve d'un simple ancrage à Kagoshima, immense baie où loge le volcan Sakurajima, le plus éruptif du monde, nous a autorisés à débarquer deux membres d'équipage, à bout de souffle, afin qu'ils soient rendus, après mille précautions, à leurs familles.

Une escale… confinés à bord
Après quelques nouveaux déboires et autres bris mécaniques sur nos engins sous-marins, la première partie de nos travaux s’est achevée. Et c'est vers Kaohsiung que nous nous sommes dirigés, atteint le 8 avril, pour trois jours passés consignés à regarder de loin le miracle asiatique à l'œuvre, symbolisé par ces tours ambitieuses sur lesquelles se reflète, dit-on, le crépuscule de l'Occident. Sans attendre ces funestes perspectives, et sans que personne n’ait été accueilli à bord, contrairement aux usages, nous sommes repartis, le 11 avril à l'assaut du Pacifique Nord, cette fois, pour la mission « Macho  III » (un drôle de nom), qui dure encore et devrait prendre fin lorsque la Corée du Sud, dernier pays à rouvrir ses frontières aux Européens, nous accueillera afin de réparer notre matériel. 
Cette escale, encore aujourd'hui à confirmer, du fait des incertitudes liées à une potentielle deuxième vague épidémique, permettra à ceux qui ont dépassé allègrement les deux mois d'embarquement, de rejoindre un pays, vu d'ici immobile et pas seulement du fait de SARS COV-2 - un pays qui est le nôtre, que nous aimons, pour de multiples raisons et peut-être plus encore lorsque que nous en sommes éloignés.


 

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