Le Petit Cephalophore

dimanche, avril 19, 2020

Agathe, maman confinée en télétravail (version longue de l'article du CC 6)

Avant de le vivre, j’aurais pensé que le terme de « confinement » révélait une situation statique où il ne se passait pas grand-chose. Mais non, le confinement est un voyage, un chemin intérieur que l’on peut vivre à plusieurs lorsque on est confiné en famille. Dans la nôtre, quatre états d’âmes se croisent dans les couloirs de notre appartement parisien, se rencontrent parfois, et parfois nous séparent quand l’un est soucieux, préoccupé pour son emploi, l’autre joyeux de ralentir le rythme, ou bien que frères et sœurs se chamaillent. Je suis la maman de deux enfants de 3 et 8 ans mais ma vie professionnelle m’avait habituée à partager mon temps avec d’autres responsabilités. Avec le confinement, tout se superpose et je suis redevenue maman à plein temps !  J’ai vite senti qu’il ne faudrait pas flancher, sinon tout le navire risquait de tanguer. Alors je m’efforce de monter en haut du mat, en position de vigie. De là, je me tiens attentive à ce que vivent les miens, que le confinement a privé de leurs espaces de respiration quotidiens hors du foyer. De là, surtout, je prends de la hauteur par rapport à mes propres inquiétudes, contrariétés, et à mes nombreuses impuissances.

Nos journées commencent de manière moins ponctuelle que d’ordinaire. Les enfants nous réveillent vers 7h30. Le matin, ils sont toujours souriants, plein d’envies de découvertes, et nous communiquent leur joyeuse énergie. Ensuite, il n’y a pas de temps à perdre : le télétravail commence à 9h00, alors il faut organiser les activités des enfants pour que tout s’enchaîne sans accroc. Si l’organisation est bien huilée, je bénéficierai de plusieurs plages de concentration successives de 15 minutes pour écrire des mails et passer mes innombrables coups de fils… Car, quand on travaille en équipe, comme cela est mon cas, le confinement génère ÉNORMÉMENT de coups de fil. Dans ses jeux, ma fille de trois ans m’imite souvent en collant à son oreille un faux téléphone à l’aide duquel elle s’invente des conversations où sa voix est tantôt enjouée, tantôt sévère ou agacée… Elle est pour moi un miroir qui m’invite à revoir mes attitudes avec autrui. Cela fait du bien ! Les enfants nous font grandir.

Les nombreuses pauses dans mon travail sont consacrées aux câlins, aux encouragements, à la préparation du repas de midi, à la surveillance de la progression du travail de mon fils, en classe de CE1, et au nettoyage d’immanquables petits accidents et parfois de grosses bêtises. Je veille à verrouiller à chaque fois mon ordinateur pour éviter que ma petite fille ne vienne m’imiter – cette fois d’une manière plus lourde de conséquences – à pianoter sur mon clavier, et ne risque d’envoyer du charabia par email à des contacts professionnels. La plupart des gens sont compréhensifs avec les parents, mais certains se tendent lorsqu’il s’agit d’évoquer des contingences domestiques dans l’organisation d’une journée professionnelle. Je pense que le confinement renforce le poids de certaines solitudes subies. J’essaye donc de passer sous silence la présence de mes enfants. Mais il y a d’autres raisons d’être discrète. Au début du confinement, j’ai eu l’indélicatesse de me plaindre de ma surcharge auprès d’une collègue dont la fille est lourdement handicapée et vraisemblablement privée de sa structure d’accueil. Je repense avec amertume à cette confidence au sujet de ma situation avec les enfants.

Le confinement a considérablement renforcé la porosité entre vie familiale et vie professionnelle. Le visage de vos collègues, clients, patrons est susceptible d'apparaître dans votre salon lors des réunions en visio-conférence, votre papeterie de bureau se confond avec le matériel de bricolage des petits, vos mails sont tantôt des propositions commerciales, tantôt les devoirs de CE1 qu’il faut corriger en rouge, photographier et envoyer quotidiennement à la maîtresse afin qu’elle les commente et oriente. Dix jours d’adaptation m’ont été nécessaires, au début du confinement, pour intégrer cette porosité et inventer mes « gestes barrières » à moi : il s’agit du mur blanc, à fond neutre, que j’ai choisi pour les visio-conférences dans une pièce où la réception internet est bonne, ou encore d’horaires de réunions choisis en début d’après-midi à l’heure de détente des enfants où je lâche prise envers mon aversion pour les écrans et leur mets un dessin animé…

En effet, ma fille de 3 ans a choisi cette période pour cesser de faire la sieste. Il est vrai que les enfants se dépensent beaucoup moins qu’en temps normal, et que les coucher est devenu plus difficile. Deux ou trois fois par semaine, l’après-midi de travail est écourtée par quelques courses en ville. Les magasins ferment désormais plus tôt. Si on souhaite avoir du pain, par exemple, on ne peut pas attendre 18H00. Lorsque les enfants sont couchés, je peux me mettre au travail de production réelle, celui qui nécessite une concentration que je ne peux trouver auprès des enfants dans la journée. Au début du confinement, ce rythme m’épuisait et je me disais que je ne tiendrai pas bien longtemps. Mais la chute de l’activité est venue réguler la surcharge des débuts : les clients ralentissent le rythme de leurs demandes et de leurs validations, les publications d’appel d’offres se font rares.... Depuis deux semaines, l’essentiel de mon temps de travail est donc consacré à encourager les équipes éclatées, à rassurer les inquiétudes, à imaginer de nouvelles manières de travail pour "l’après 11 mai". 
La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de suivre un cours sur internet. On appelle cela « un MOOC ». Un neuroscientifique expliquait que pour donner à notre cerveau les meilleures chances de basculer en « mode mental adaptatif » - qui est le mode requis pour faire face à l’inconnu de la situation dans laquelle nous sommes tous plongés – il  fallait (se) faire du bien : (se) sécuriser en (s’) encourageant, en maintenant des routines, en célébrant les réussites, même petites, en remerciant chacun pour son investissement malgré les contraintes… J’ai trouvé là une recette intéressante à utiliser dans mon foyer. D’habitude, je me sers de mes observations de pédagogue, autrement dit de maman, dans mon travail de manager. Cela m’amuse de remarquer que, pour une fois, c’est mon travail qui m’a donné quelques clés pour mieux m’occuper de ma famille. 


 

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