Le Petit Cephalophore

jeudi, juin 06, 2019

Paroles d'Eglise blessée


J-A. : « S’ils se taisent, les pierres crieront. » (Lc 19, 40). Du dimanche des Rameaux, nous avons retenu les acclamations, la procession, mais point les pleurs de Jésus sur la ville : « Ah ! si tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux. » (Lc 19, 42). Et le lendemain, le lundi 15 avril, la toiture de Notre-Dame de Paris était dévastée par le feu ! Certes, cela nous parle de la difficulté de notre société à prendre soin de notre héritage, mais que cela survienne le premier jour de la Semaine sainte, avant-veille de la messe chrismale et à trois jours de la commémoration de la Sainte Cène du Christ, n’est-ce pas un signe pour dire l’incendie qui a éclaté au sommet de la hiérarchie cléricale catholique ?
Nous arrivons dans cette vie avec notre "paquet" de talents : il nous est confié à chacun un corps, avec ses hormones, ses émotions, sa sexualité et ses désirs. Grâce à Dieu, nous sommes tous différents en termes de besoins, mais s’interdire a priori de vivre en conscience ce qui pourra venir de la sexualité, conduit à la vivre dans le déni. S’interdire cette possibilité d’épanouissement, c’est aller enterrer le talent qui nous est confié (Mt 25, 14-30). Ou bien, comme le frère du fils prodigue (Lc 15, 11-32), c’est s’interdire de connaître notre misère physique, affective et psychique qui, si elle est assumée peut conduire à la joie du retour vers le Père. Pas d’accomplissement sans prise de risque ! La sexualité fait bien partie de nos "talents". La faute n’est pas de l’expérimenter (de façon respectueuse, c'est-à-dire sans victime et sans violence) - le mot « péché » ne figure d’ailleurs nulle part dans la parabole du fils prodigue. La faute, c’est de la vivre en cachette, avec la violence du refoulement, en donnant des leçons aux autres. À la manière des scribes et pharisiens qui voulaient lapider "la femme adultère" (Jn 8, 1-11) pour mieux protéger l’homme pris "en flag" avec elle... Aujourd’hui, le décalage entre les enseignements de la hiérarchie cléricale et les attentes de la société civile est tel que seuls 5 à 6 % des catholiques français continuent à avoir une pratique religieuse. Quels autres signes que celui donné par Notre-Dame de Paris, faudra-t-il pour sortir de l’omertà pratiquée au plus haut niveau et pour sortir du déni des conséquences les plus graves du célibat "obligatoire" imposé aux prêtres ?
Depuis 1959, en France, il meurt chaque année plus de prêtres qu’il n’en est ordonné au point qu’il n’en reste plus que près de 11 000. Aujourd’hui quand 50 prêtres sont ordonnés dans l’année, il en meurt 800 ! Que faudra-t-il encore subir pour accepter que les prêtres puissent avoir une sexualité et que, comme en Angleterre par exemple, des femmes puissent aussi être ordonnées ?


Hubert : Une "petite demi-page" pour un sujet si considérable, c'est déjà la moitié d'une censure, ou l'incitation à des formules trop résumées.
Il s'agit de la subsistance, dans le corps ecclésial, du péché de Sodome, c'est-à-dire celui qui est sans rémission ici-bas, et pour lequel l'intercession d'Abraham, qui l'avait offerte aux Trois Visiteurs, a été repoussée par Yahvé. Entendons-nous : il ne s'agit pas d'une pratique sexuelle particulière (je ne sais pas quand cette dérive sémantique intervient dans l'histoire du mot), mais du péché le plus grave que l'on puisse commettre, surtout dans le cadre de rapports institutionnels et institués : la violation de l'hospitalité sacrée que nous nous devons à tous et dont le sacrement de l'ordre investit tout particulièrement les prêtres.
C'est un désastre qui laisse sans voix.
Il n'est pas question de chercher à comprendre chaque cas (se rappeler ici le mot de Péguy : « Expliquer, c'est capituler ») et comment le pourrions nous ? On pourrait penser que pardonner n'appartient qu'aux victimes, mais il existe aussi le sacrement de confession, avec sa rigoureuse progression : conscience du péché, réparation due et ferme propos. Il n'y a que le Saint Esprit qui puisse nous sortir de cette aporie, et, en la circonstance, il parle par notre Saint Père, lequel commande à tous (après y avoir contraint Monseigneur Barbarin, qui avait enfreint cette règle pourtant instituée par le Christ) de s'en remettre au bras de César, de laisser à Dieu ce qui lui appartient et de ne pas confondre les instances.
Ce travail fait, on peut - on doit - prier. Comme l'écrivait encore notre Péguy : « Il faut travailler, et après il faut prier ; ne pas travailler, et prier après pour combler le manque, je trouve que c'est mal élevé»

Denis : Je pense qu’il faut des actes, plus que des pensées, des sensations ou des contritions. Et contrairement à Benoît XVI, je pense que cela devait être bien pire avant 68…
Servants de messe. Personnellement je suis toujours très surpris par cette distinction faite entre les garçons et les filles pour leurs rôles en tant que servants de messe, comme on dit aujourd’hui. Je trouve que cela n’a aucun sens et que d’autres pratiques se font ailleurs sans problème. Il y a beaucoup d’hommes dans le chœur entre les prêtres et les séminaristes, tant que les femmes ne seront pas ordonnées, ce qui ne saurait tarder, je pense et j’espère.
Suppression d’un cantique du répertoire. Autre point sans rapport, je pense qu’il faut supprimer du répertoire le chant suivant : Mon Père, mon Père, je m’abandonne à toi. C’est une soumission exagérée, valable pour des grands mystiques. L’Église n’a pas besoin de personnes soumises mais actives ou contemplatives. Merci pour cette initiative de libre parole.

Sylvie : Le retournement du scandale . Je reprendrai à mon compte ces paroles de la théologienne dominicaine Véronique Margron* qui résument bien ma pensée. Ce qui me choque le plus, c'est le "retournement complètement fou du scandale, scandale qui serait le mal fait à l'Église quand on montre ses turpitudes alors que l'on sait bien que le seul scandale est celui fait à la dignité, à l'intégrité des personnes, à commencer par les enfants. Comment expliquer ce retournement ? Pour moi, cela vient d'un écueil de la conception "familiale" de l'Église - très belle par ailleurs mais qui montre sa limite dans des drames : de la même façon qu'un enfant victime d'inceste aura des difficultés à parler parce qu'il sait qu'il va, si l'on peut dire, "détruire la famille" alors que c'est lui qui a été détruit, que la famille a déjà implosé de l'intérieur d'une certaine façon (même si cela ne se voit pas forcément de l'extérieur). Nous avons ici affaire au même retournement : la victime se dit qu'elle ne peut pas faire du mal à sa famille. "Il ne faut pas dire du mal de l'Église", comme ont pu le dire ou peuvent encore le dire tant de gens." C'est pourquoi j'apprécie grandement que notre curé ait accepté que nous puissions nous exprimer sur ce sujet douloureux dans notre journal paroissial sur ce sujet. Chapeau bas !
*Présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France).
 A lire : Un moment de vérité, Albin Michel, dans lequel elle propose des "voies pour sortir de ce désastre".

Dominique : Comment ne pas voir dans l’incendie de Notre-Dame une métaphore de l’Église blessée appelée à se renouveler, pour peu qu’elle se laisse conduire par la lumière de l’Esprit ? Cette lumière, c’était déjà celle de Vatican II, qui reconnaissait l’Église dans le Peuple de Dieu. Car l’Église, c’est nous, nous les baptisés. Ce n’est pas le clergé. Et encore moins ces prêtres criminels. Si l’Église est en crise, c’est d’abord à mon sens en raison d’un problème de représentation du Peuple de Dieu. Avant le scandale universel des abus sexuels commis par des prêtres usurpant une autorité qui n’appartient qu’à Dieu, le Peuple des laïcs (et moi la première !) acceptait, voire réclamait, de se laisser guider en toutes choses par son clergé, comme les brebis par le bon pasteur. Mais la confiance a été sérieusement ébranlée, une réforme profonde de l’Église doit nécessairement être entreprise. La cause du mal, selon moi, gît, d’une part, dans l’organisation institutionnelle ecclésiale, mêlant monarchie et oligarchie cléricales, avec un clergé exclusivement masculin vivant en ordo retranché dans ses presbytères, d’autre part dans l’exclusion des laïcs, hommes ET femmes, du gouvernement de l’Église. Les deux questions sont liées. Il s’agit d’appeler les laïcs à prendre part aux décisions dans l’Église qu’ils constituent, de s’ouvrir à une démocratie ecclésiale. Faire tomber les murs érigés entre les baptisés, laïcs et clercs, et entre les sexes. Un SEUL corps pour une seule Tête.

Monique : Je comprends  les blessures  que certain(e)s ont pu ressentir. Mais n'oublions pas l'essentiel reçu par de saints prêtres et n'infligeons pas à notre tour une blessure injustifiée. Il serait  souhaitable  de recueillir des témoignages de paroissiens qui ont bénéficié de leur pasteur.

Marc : 1) Un(e) président(e) de la communauté de Saint-Denys ? Face aux abus sexuels, le pape François nous a invités à lutter contre le cléricalisme. Plus que dans les autres religions, la figure du prêtre catholique souffre en effet d’une certaine sacralisation.
Les religions protestante, juive et musulmane prévoient chacune, aux côtés de leur pasteur, un président de communauté, généralement élu avec une petite équipe (loi de 1905). Cela ne peut que nous faire réfléchir. Quel rôle joue-t-il ? C’est variable : il est souvent modeste avec par exemple l’accueil, la « logistique » ou l’organisation d’activités culturelles. Il déleste les clercs de tâches leur permettant ainsi de se consacrer mieux encore au « spirituel ».
Plus important : le président peut assurer aussi un rôle de médiation avec le curé, par exemple en faisant passer quelques messages, que l’on n’ose pas lui adresser directement pour différentes raisons.
Un(e) président(e) de la communauté pourrait permettre une responsabilisation accrue des laïcs et un dynamisme encore plus fort.
C’est pourquoi une réflexion me paraît pertinente sur cette question. Elle pourrait être l’occasion d’aller rencontrer les autres religions du quartier pour une analyse plus approfondie.
Elle pourrait être expérimentée pour une durée à déterminer avant bilan et poursuite éventuelle.
L’Église catholique traverse une crise importante. L’immobilisme n’est-il pas un agent « fossoyeur » de notre Église ? Vive le débat pour le discernement !

2) Abus sexuels commis par des prêtres : les actes pédophiles sont des crimes abominables. Le renvoi de l’état clérical devrait être systématiquement étudié me semble-t-il. N’oublions tout de même pas qu’ils concernent moins de 2 % des prêtres en France*. Il en reste donc 98 %, parmi lesquels tant « trésors » pour le peuple de Dieu !

* Chiffre donné de Mgr Ponthier, alors président de la Conférence des Évêques de France.


 

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