Béatification des martyrs d'Algérie
« Tu les avais vu partir à
pied, emmenés par leurs ennemis… »
Pierre L., paroissien de Saint-Denys, est le neveu de
frère Luc, l’un des sept moines de Tibhirine assassinés en 1996. Avec sa femme
France, il était présent à la messe de béatification des dix-neuf martyrs
d’Algérie, le 8 décembre dernier à Oran. Retour cet événement très émouvant.
8
mai 1994 : le frère Henri Vergès et la sœur Paul-Hélène sont assassinés
dans la bibliothèque de la casbah d’Alger où ils accueillaient des centaines
d’étudiants du quartier. Quelques jours après, l’imam de
la mosquée voisine est à son tour assassiné pour avoir proclamé que
cet acte ne pouvait en aucun cas être justifié par l’islam. 17 autres religieuses
et religieux et 113 imams subirent ensuite le même sort pendant ces années
noires de l’Algérie.
8
décembre 2019 : à Oran, le cardinal Becciu, envoyé du Saint Père, entouré
des évêques d’Algérie et du père postulateur, proclame la béatification des 19 martyrs
devant près de 1 500 personnes dont 400 membres des familles de chair et
spirituelles, venus de France et d’ailleurs.
Voici
quelques points qui nous ont particulièrement émus. Le lieu : devant la
basilique Santa Cruz, sur l’esplanade du « Vivre ensemble » surmontée
d’une flèche portant une statue de la Vierge dominant tout Oran et la
Méditerranée. La présence des autorité algériennes, dont le ministre des Affaires
religieuses, et de beaucoup de résidents algériens : chrétiens bien sûr
mais aussi des musulmans, dont une quinzaine d’imams. La minute de silence au
début de la célébration en hommage aux 19 bienheureux, aux 114 imams et aux
dizaines de milliers d’Algériens assassinés en ces années. La lecture en
français du décret de béatification par Mgr Teissier (après la lecture en latin
par le cardinal), qui fut en cette période le pasteur souffrant, attentif, et
lui-même menacé, de cette église d’Algérie martyrisée. Le baiser de Paix
sincère et émouvant entre des personnes si diverses, en particulier entre l’archevêque
d’Alger et les religieux musulmans. Et la superbe chorale des étudiants
subsahariens interprétant avec le même talent et enthousiasme l’Alléluia d’Haendel ou des chants
religieux congolais.
La
veille au soir, nous avions écouté des témoignages bouleversants : père
Jean-Pierre, dernier survivant de Tibhirine, longtemps habité par la question
« Pourquoi ai-je été épargné ? » ; sœur Chantal, très
grièvement blessée dans l’attentat tuant sœur Odette, qui nous dit avoir repris
une vie normale et conservé une image positive de cet événement car « la main de Dieu s’était étendue sur
elle et elle avait le pouvoir de chasser les ténèbres » ; la sœur
de Mgr Claverie et la mère du jeune ami algérien tué par la même bombe ;
le fils de l’Algérien qui en 1960 fut tué par les maquisards pour avoir
préservé la vie de celui qui était devenu son ami : Christian de Chergé…
Et
puis le matin, l’accueil à la Grande Mosquée. Les imams attendant sur le parvis
et emmenant le cardinal, les religieux et les familles devant le mihrab pour un
hommage priant à tous les morts de ces années, chrétiens et musulmans. Le
cardinal Becciu a assisté à la calligraphie, réalisée par les jeunes de l’école
coranique, de la sourate honorant la Vierge Marie et l’a reçue en cadeau.
Et
enfin, le lendemain à Tibhirine, les familles ont été accueillies par la
Communauté du Chemin Neuf et les villageois. La messe nous a offert ce texte du
prophète Baruch : Tu les avais vu
partir à pied, emmenés par leurs ennemis, et Dieu te les ramène, portés en
triomphe comme sur un trône royal ». Ensuite, nous avons effeuillé, sur les tombes, les pétales des roses qui
nous avaient été offertes à la mosquée. Émotion des retrouvailles du père
Jean-Pierre avec Mohamed, le gardien qui lors de l’enlèvement sauva la vie de deux
moines et d’une dizaine de religieux et religieuses présents à l’hôtellerie en
affirmant aux ravisseurs qu’il n’y avait que sept frères. Et, pour nous, famille
de frère Luc qui était médecin, émotion de revoir son ancienne aide au
dispensaire : elle avait parcouru près de 100 km avec sa dernière fille pour
nous dire son affection.
Le
cardinal Becciu a conclu ainsi : « Je
suis venu, je confesse, avec un peu de soucis, et je pars avec une grande joie,
avec cette grande et belle expérience vécue avec vous. » Remarquables
aussi l’unanimité et l’admiration des grands journaux algériens sur ces moments
de fraternité - la caricature jointe en témoigne. Pour nous et les autres
personnes des familles, ces deux jours restent comme un aperçu de la douceur et
de l’amour qui règnent dans le Royaume de Dieu.
Pierre L.
Photo de deux survivants.
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