Le Petit Cephalophore

jeudi, juin 06, 2019

Béatification des martyrs d'Algérie



« Tu les avais vu partir à pied, emmenés par leurs ennemis… »

Pierre L., paroissien de Saint-Denys, est le neveu de frère Luc, l’un des sept moines de Tibhirine assassinés en 1996. Avec sa femme France, il était présent à la messe de béatification des dix-neuf martyrs d’Algérie, le 8 décembre dernier à Oran. Retour cet événement très émouvant.

8 mai 1994 : le frère Henri Vergès et la sœur Paul-Hélène sont assassinés dans la bibliothèque de la casbah d’Alger où ils accueillaient des centaines d’étudiants du quartier. Quelques jours après, l’imam de la mosquée voisine est à son tour assassiné pour avoir proclamé que cet acte ne pouvait en aucun cas être justifié par l’islam. 17 autres religieuses et religieux et 113 imams subirent ensuite le même sort pendant ces années noires de l’Algérie.
8 décembre 2019 : à Oran, le cardinal Becciu, envoyé du Saint Père, entouré des évêques d’Algérie et du père postulateur, proclame la béatification des 19 martyrs devant près de 1 500 personnes dont 400 membres des familles de chair et spirituelles, venus de France et d’ailleurs.

Voici quelques points qui nous ont particulièrement émus. Le lieu : devant la basilique Santa Cruz, sur l’esplanade du « Vivre ensemble » surmontée d’une flèche portant une statue de la Vierge dominant tout Oran et la Méditerranée. La présence des autorité algériennes, dont le ministre des Affaires religieuses, et de beaucoup de résidents algériens : chrétiens bien sûr mais aussi des musulmans, dont une quinzaine d’imams. La minute de silence au début de la célébration en hommage aux 19 bienheureux, aux 114 imams et aux dizaines de milliers d’Algériens assassinés en ces années. La lecture en français du décret de béatification par Mgr Teissier (après la lecture en latin par le cardinal), qui fut en cette période le pasteur souffrant, attentif, et lui-même menacé, de cette église d’Algérie martyrisée. Le baiser de Paix sincère et émouvant entre des personnes si diverses, en particulier entre l’archevêque d’Alger et les religieux musulmans. Et la superbe chorale des étudiants subsahariens interprétant avec le même talent et enthousiasme l’Alléluia d’Haendel ou des chants religieux congolais.
La veille au soir, nous avions écouté des témoignages bouleversants : père Jean-Pierre, dernier survivant de Tibhirine, longtemps habité par la question « Pourquoi ai-je été épargné ? » ; sœur Chantal, très grièvement blessée dans l’attentat tuant sœur Odette, qui nous dit avoir repris une vie normale et conservé une image positive de cet événement car « la main de Dieu s’était étendue sur elle et elle avait le pouvoir de chasser les ténèbres » ; la sœur de Mgr Claverie et la mère du jeune ami algérien tué par la même bombe ; le fils de l’Algérien qui en 1960 fut tué par les maquisards pour avoir préservé la vie de celui qui était devenu son ami : Christian de Chergé…
Et puis le matin, l’accueil à la Grande Mosquée. Les imams attendant sur le parvis et emmenant le cardinal, les religieux et les familles devant le mihrab pour un hommage priant à tous les morts de ces années, chrétiens et musulmans. Le cardinal Becciu a assisté à la calligraphie, réalisée par les jeunes de l’école coranique, de la sourate honorant la Vierge Marie et l’a reçue en cadeau.
Et enfin, le lendemain à Tibhirine, les familles ont été accueillies par la Communauté du Chemin Neuf et les villageois. La messe nous a offert ce texte du prophète Baruch : Tu les avais vu partir à pied, emmenés par leurs ennemis, et Dieu te les ramène, portés en triomphe comme sur un trône royal ». Ensuite, nous avons effeuillé, sur les tombes, les pétales des roses qui nous avaient été offertes à la mosquée. Émotion des retrouvailles du père Jean-Pierre avec Mohamed, le gardien qui lors de l’enlèvement sauva la vie de deux moines et d’une dizaine de religieux et religieuses présents à l’hôtellerie en affirmant aux ravisseurs qu’il n’y avait que sept frères. Et, pour nous, famille de frère Luc qui était médecin, émotion de revoir son ancienne aide au dispensaire : elle avait parcouru près de 100 km avec sa dernière fille pour nous dire son affection.


Le cardinal Becciu a conclu ainsi : « Je suis venu, je confesse, avec un peu de soucis, et je pars avec une grande joie, avec cette grande et belle expérience vécue avec vous. » Remarquables aussi l’unanimité et l’admiration des grands journaux algériens sur ces moments de fraternité - la caricature jointe en témoigne. Pour nous et les autres personnes des familles, ces deux jours restent comme un aperçu de la douceur et de l’amour qui règnent dans le Royaume de Dieu.
Pierre L.
Photo de deux survivants.


 

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