Témoignage de Claire,
directrice d'école primaire dans un centre Daniélou,
à la retraite depuis huit ans.
directrice d'école primaire dans un centre Daniélou,
à la retraite depuis huit ans.
L'enseignement évolue, mais enseigner reste un bonheur. Et dans cette période troublée, se redire les constantes que sont les
fondements de l'éducation scolaire est important : l’enfant demeurant au cœur du système
scolaire et éducatif, il s'agit de garder le souci constant de le faire grandir avec respect, en lui donnant les moyens de réfléchir et d’apprendre.
A la base, un travail d'équipe
dans une relation de confiance entre
parents, enfants, enseignants et direction.
Les parents
Les relations avec les parents en
sont une composante essentielle. Ceux-ci sont souvent inquiets, ils ne veulent
que des bonnes notes. Ils ont souvent besoin d’être rassurés. Il est indispensable de les
rencontrer, de dialoguer... pour parler
du travail de l’enfant de son comportement en classe, avec les autres, avec un
regard positif, encourageant. Et si
l’enfant a des difficultés, essayer de trouver pourquoi avec eux pour l’aider…
Si les enseignants font équipe
avec les parents, il n'en reste pas moins que chacun a son rôle bien déterminé.
Les enseignants ne sont pas des thérapeutes… De même, les parents ne sont pas
chargés, par ex.de faire la discipline à l'école ou de refaire l’école à la
maison.
Mais l’école peut s'ouvrir sur le monde extérieur par leur
intermédiaire. Les parents peuvent intervenir en faisant
partager leurs talents dans le cadre de leur métier, par ex. le cinéma, la photographie, le métier du cirque,
la peinture, la cuisine… Les enfants y sont particulièrement sensibles. Ils
peuvent aussi nous aider pour encadrer les sorties d’enfants, etc… et cela crée
un climat convivial que les enfants apprécient et qui a des retombées sur le travail scolaire.
On prendra comme exemple Max, un
petit garçon en CP qui savait beaucoup de choses, il avait une famille très
ouverte, artiste... Du hach circulait chez lui... Les parents parlaient beaucoup
avec l'enfant sur tout, y compris sur des sujets qui n'étaient pas de son âge, et-
son vocabulaire était étendu. Mais, cet enfant n'était pas sympathique. Il
avait des tics, narguait les enseignants, faisait du bruit ou des petites
bêtises pour se faire remarquer. Il était comme un petit caïd dans la classe.
Ses parents disaient qu'on lui en demandait trop. Max n’aimait pas l’école, sa
maîtresse était pourtant adorable et patiente.
Comment le faire évoluer ? Après avoir prié pour qu'une opportunité
se présente, un matin, il arrive avec un bandana rouge autour du cou. Je lui dis :
"Oh bonjour Max, qu'est-ce que tu es chic ! " Il rougit de
plaisir. Le lendemain, idem, « Ah tu as remis ton joli
foulard ? » et je « m’obligeais » à lui faire des petites
remarques gentilles au cours de la journée. La semaine suivante "Ah ! Aujourd'hui tu n'as pas mis ton joli foulard ?" En lui faisant ces remarques
si puériles concernant son foulard, lui
qui était toujours renfrogné, ne disant
jamais bonjour a commencé très vite par des petits sourires pincés, puis des
bonjours timides. Peu de temps après, alors que je distribuais les cahiers de
contrôle, devant toute la classe, je lui fis un compliment... Il en rougit de
plaisir en regardant les autres. Peu à peu, on s’est rendu compte qu’il faisait
beaucoup d’efforts et des progrès. Puis, ses résultats scolaires sont devenus
bons et il a demandé à avoir des responsabilités dans la classe, entre autres,
l’arrosage des fleurs ! Il n’était plus le petit Max, mal dans sa peau
mais un compagnon de classe et de jeux avec plein d’idées et heureux de venir
en classe… Ses parents ne le reconnaissait
plus tant il était curieux de tout, joyeux, épanoui et dans la réussite... Une
relation de confiance s'est établie avec les parents qui ont changé leur vie
par rapport à la drogue et une psychothérapie familiale s’est mise en place... Ils ont fait découvrir aux enfants de la
classe tout un travail de peinture et de graphisme!
L'apprentissage
L'école est un lieu d’apprentissage
bien sûr, mais aussi où l'on apprend à apprendre: comment apprendre une leçon, prévoir
ses activités, s’organiser dans son travail, acquérir de la méthodologie, faire des
recherches sur un sujet, présenter un devoir, souligner ce qui est important, se relire. Apprendre aussi à l’enfant à voir
ses progrès et l’aider à décider des efforts qu’il doit poursuivre sur tel ou
tel point. J’ai toujours été admirative de leur perspicacité même en CP.
La découverte d’une notion
nouvelle se fait pas à pas, en collectif mais parfois en petit groupe, par un
travail d’observation, de réflexion. L’enseignante suit attentivement le cheminement de l’enfant et dans certains
cas, l’enfant peut se rendre compte que
diverses possibilités arrivent à un même résultat, ou que l’erreur est positive et aide à la
compréhension, etc…
Organiser les activités dans la
journée pour profiter des moments où l’esprit est le plus disponible : les
notions nouvelles, les exercices demandant réflexion, concentration, se font le matin.
En ce qui concerne les notations,
les enfants n'avancent pas au même rythme. L’important est de respecter le
rythme de chacun : permettre aux enfants rapides d'aller plus vite et aux plus
lents de se sentir valorisés dans leurs efforts. Des fiches de travail par niveau sont toujours
disponibles. L'important, c'est de voir les enfants acquérir les notions
nouvelles du programme tout en devenant de plus en plus curieux, intéressés. La
notation n’arrive que lorsque nous sommes sûrs que la notion est acquise. Le
bilan met en évidence les points qu’il faut éventuellement retravailler.
Tout au long de la scolarité primaire, les
notes, mal utilisées, ne sont pas toujours pédagogiques. Il faut faire très
attention à leurs conséquences psychologiques. Tous doivent comprendre (et
surtout les parents) que l'important n'est pas la notation, mais l'acquisition de
la notion. Les notes entraînent une classification dangereuse. Il y a les forts
qui risquent de devenir imbus d'eux-mêmes. Les moyens qui assument plus ou
moins bien cette position et ceux qui rejettent le système scolaire car classés
dans les faibles. Ils ne sont reconnus par les autres qu'à travers ce
classement, et non leurs efforts et leurs spécificités personnels. Pour cette
raison, nous ne faisions apparaître les notes qu’en CM2. Par contre, il faut
une très grande rigueur pour contrôler les connaissances. Je me souviens d’une
petite fille portugaise arrivant en CE2, mais ayant de réelles difficultés
orales et orthographiques et laissée un peu de côté dans sa précédente classe.
Les enseignants l’ont beaucoup soutenue pour lui faire rattraper son retard et
elle a eu son bac avec mention TB !
Le redoublement est quelque chose
de grave et rare. Il est pratiqué lorsque l'enfant n'a pas la maturité
nécessaire au niveau de la lecture, par exemple pour permettre un rattrapage ou
lorsque l'enfant arrive en cours de scolarité, que l’appropriation des
programmes précédents est inexistante. Je pense à un enfant qui ne savait ni
lire ni écrire en fin de CP, Ses parents venaient de déménager. Il a recommencé
son CP, accompagné d’une orthophoniste et a bien redémarré. Avant de pratiquer
le redoublement, on recherche pourquoi l’élève a rencontré des difficultés.
S'il s'agit de dyslexie ce n’est souvent pas la peine de faire redoubler, ce
qui aggraverait le manque de confiance, mais il est nécessaire d’entreprendre une rééducation... Il y a beaucoup d’enfants dyslexiques.
L’équipe enseignante
Au niveau des enseignants, le
travail d'équipe est également fondamental: se retrouver, faire le point sur
les programmes (travailler ensemble certaines notions (progression de
l’apprentissage de la grammaire, de l’orthographe, tables de X… au fil des
années),, communiquer avec les enseignants des classes précédentes en assurant
le passage de relais, retravailler éventuellement l’année suivante les notions
mal assimilées. Établir une bonne relation entre enseignants pour qu’ils
dialoguent et s’entraident. J’ai toujours été admirative de l’engagement et de
la somme de travail de nos enseignants et je leur disais !!
Ne pas craindre cependant de
faire intervenir des psychologues pour réfléchir sur telle ou telle notion
(autorité ou autoritarisme, punition, réparation…), des orthophonistes pour les
problèmes liés au langage…Les concertations pédagogiques entre enseignants sont
d’une grande richesse.
D’autre part chaque enseignant est
doué sur tel ou tel sujet. C’est
important d’en faire profiter les élèves (peinture, photographie, théâtre…).
La discipline
Au niveau de la discipline, bien
clarifier les règles, peu de punitions mais des règles précises établies pour être respectueux les uns envers les autres (prendre le temps de dialoguer
avec l’enfant s’il a été puni) pour lui faire prendre conscience qu’il vit avec
d’autres enfants, et des adultes qui travaillent pour lui, et que l’on ne peut
pas faire ou dire n’importe quoi : La « vie de classe » permet
de prendre le temps de parler de situations conflictuelles. L’école est le lieu
de la socialisation.
Apprentissage de l’écoute mais
aussi du travail bien fait. On ne vient pas à l’école sans savoir ses leçons,
on ne manque pas l’école pour partir en vacances plus tôt, on arrive à l’heure…
On a souvent remarqué qu’un
enfant qui a des difficultés, lorsqu’il commence à se sentir bien dans un
groupe, qu’il en connaît les règles et
les applique, progresse scolairement. Souvent tel ou tel enfant agressif
affirme : « je n’ai pas d’amis » on lui répond « et toi
que fais tu pour être aimable avec les autres ? »
Les élèves
Mettre les élèves en situation de
responsabilisation et de socialisation, cela ne se fait pas seulement en classe
mais tout au long de la journée : que ce soit à la cantine, pour manger
correctement et de tout, pour débarrasser la table, dans la cour de récréation,
pour mettre les papiers dans la poubelle, ne pas écrire sur les murs, jouer
sans se battre, faire attention aux petits, etc… Dans les conseils
inter-classes, les délégués de chaque classe, rapportent les désirs de leurs
camarades très sérieusement et mettent en pratique avec beaucoup de générosité
les décisions, en s’écoutant chacun son tour. Un parent est toujours présent et
très impressionné !
Des aînés, de seconde ont fait travailler les plus jeunes à
l'étude du soir et cela a été d’un grand profit réciproquement.
Il y a des enfants qui ont
beaucoup de soucis, par exemple les enfants adoptés, intelligents souvent, mais
qui refusent de s’intégrer et se mettent en situation d’échec. Les enseignants auraient
besoin d'être formés sur la psychologie de ces enfants... Nous sommes souvent
désemparés, témoin de leur souffrance sans savoir comment réagir, surtout quand
il y a de l’agressivité envers les autres enfants. Mais il y a aussi tous les
enfants en souffrance, dans les familles de parents séparés…La parole du matin,
en classe, pour commencer la journée permet de discerner ceux qui ne vont pas
bien. Une petite parole, donnée en
aparté pendant la récréation, par ex. permet de soulager. Je pense à une enseignante
me rapportant qu’un enfant n’allait pas bien. Fermé, triste, absent…. A la
récréation, elle le prend à part et lui dit : « Paul, je crois
que ça ne va pas bien, ce
matin ? » et l’enfant lui répond « oui, mon papa est parti ce
matin en avion, et j’ai peur que l’avion tombe ! ». Et il se met à
pleurer abondamment…
Pour conclure, je dirai que j’ai aimé passionnément mon métier et
que c’est une grande joie de voir des enfants grandir, réfléchir, se prendre en
charge, vouloir réussir et prendre les moyens qui leur sont conseillés, que ce
soit dans leur comportement ou dans leurs
résultats scolaires, en étant inventifs, curieux et épanouis. Mais c’est aussi un travail permanent sur soi, une nécessité
de prendre du recul, de se remettre en question. Les enfants nous renvoient à
nos propres limites, à nos pauvretés, à nos incapacités… Cela demande beaucoup
d’humilité car malgré nos efforts, nous vivons aussi l’échec avec certains
enfants ou l’erreur pédagogique !
J’ai eu pour ma part cette joie
d’être complètement soutenue par la prière de la Communauté
Saint- François-Xavier,
et j’ai bien compris que mon travail quotidien résultait d’un OUI à
l’Esprit-Saint et de la confiance que je mettais au quotidien dans le Seigneur
qui m’aidait si visiblement !
« L’enfant, disait Madame
Daniélou, n’est pas un petit animal qui nous charme et nous fuit, un oiseau
posé dans nos mains, pour un instant. C’est un être spirituel et responsable
chargé d’une destinée prodigieuse, qu’il nous est donné de préparer… Il faudrait
que chaque enfant fût entouré de soins si intelligents, de tant de respect et
d’amour que tout ce qu’il porte en lui pût atteindre son plein épanouissement…»
Enseigner, c’est alors
prioritairement éveiller et former la vie de l’esprit, c'est-à-dire le courage
de la conscience, la liberté de l’intelligence et la force d’aimer »
affirme Marguerite Léna, philosophe.
Propos recueillis par Anne-Marie B.
Illustration par Sempé.
Illustration par Sempé.
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