Parole d'artistes
Marie, peintre :
"Ce
qui ne peut se traduire en termes de mystique ne mérite pas d'être vécu"
disait Cioran…
Mes paroles
sont des paroles de peintre, passionnée de peinture et d'un art qui "remue
le fond sensuel des hommes" . Je suis très loin de ceux qui se réclament
de Duchamp et qui ont fait de l'urinoir un objet de culte dans les musées à la
place des peintures. Je me demande depuis longtemps qui a permis une telle
action contre l'art et contre les peintres ? Est-ce venu d'une "vague de
fond " comme je l'ai entendu il y a peu lors d'une table ronde aux
Bernardins ? Est-ce venu de l'air du temps, donc du dehors du musée ? Ou
bien est- ce venu du dedans du musée ? Toutes ces questions ne sont pas
étrangères à ma pratique de la peinture comme la pratique religieuse n’est pas
étrangère à la situation d’inconfort de l’Eglise. Comment les séparer sans au
fond de soi se couper en deux, faire
comme si les autres n’existaient pas et se fabriquer un petit monde pour soi
tout seul ? Le journal Libération
annonce que vous trouvez désormais Rodin à Roissy , c'est à gauche après les
parfums de marques pas loin des sacs. Tout est marchandise. Certes il ne faut
pas que la haine du mal l’emporte sur l’amour du bien, mais au nom du Bien ou de la Beauté faut-il s’interdire le discernement ?
Peindre n’est pas de toute tranquillité dans un monde que domine l’argent, mais
« cela » reste. « Cela » est le plus précieux d’entre
tous lorsqu’il est Louange. « Bénis
le Seigneur Ô mon âme, bénis son nom très saint tout mon être » dit le
psaume 102. Comment y parvenir ? La peinture est un moyen d’aller vers si elle est abandon
(aujourd’hui on dit lâcher prise) mais cela se complique car si la peinture est
ferveur, elle est aussi une discipline. "L'art c'est comme le chinois, ça
s'apprend" disait Picasso. Elle est mémoire "Pas de culture
sans mémoire " disait Arendt. En d’autres termes il faut beaucoup d’études
pour redevenir enfant et c’est tout le contraire de ce que nous voyons si
souvent autour de nous et désignons comme un processus d’infantilisation .
Non ! La quête de la Beauté n’est pas du côté de la transgression et du
nouveau pour le nouveau, elle nous fait connaître nos limites, elle ne nous
rend pas infantiles et capricieux mais pauvres et assoiffés. Si elle fait de
nous des mendiants et des errants, elle nous grandit sans que nous y prenions
garde. Regardons ce que les grands peintres ont laissé à l’humanité, des œuvres
pour notre contemplation dans un monde qui n’a plus le temps. Peut-être est-ce
pour cette raison que je suis amie de Baudelaire et des peintres qu’il aimait.
Delacroix par exemple qu’il ne faut pas
déranger à Saint-Denys puisqu’il veille aussi sur nous!
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un
ciel chagrin, des fanfares étranges passent,
Comme un soupir étouffé de Weber
N’oublions pas
le combat de Jacob avec l’ange peint par Delacroix dans l’église Saint-Sulpice
qui est à la fois abandon et corps à corps du peintre avec l’invisible dans la
solitude et loin des lumières agressives des media.
Marie Sallantin
Extrait du poème de Baudelaire, Les Phares.
Illustration : Les Oiseaux de Raphaël se sont posés sur un étang de la Puisaye, 2013
Mais est-ce que sa foi guide sa main ? « Si je faisais une comparaison avec les mystiques, je dirais que ma prière est dans une forme de silence. Je ne sais d’ailleurs pas très bien prier. Là, c’est une parole silencieuse qui donne lieu à quelque chose de compréhensible, pour moi, et pour les autres, j’espère ».
46 x 33 cm tempera sur toile
Jacques, sculpteur :
Art et foi… La question laisse un temps Jacques Jarrige silencieux. Puis le verbe sort, jaillit plutôt, en saccades, donnant forme à de fortes convictions. « La charité de chacun s’exerce dans ses actions. Celle de l’artiste est que l’amour de Dieu soit présent dans son œuvre. Même chez des artistes athées. Aucun artiste ne saurait être sec, creux, mortifère ».
Est-il du moins “inspiré” ? « Je ne fais pas partie des artistes qui ont un projet préalable à la création. Je suis plutôt dans la réception. Étant croyant en Dieu, j’y ressens une grâce, celle de pouvoir substituer mon geste à la parole. Mais la “parole” ne m’appartient pas, et surtout, elle n’est pas forcément claire, ou du moins ne peut être “lue” que par celui qui l’écoute. Comme une parole de Dieu donnée au monde. Certaines œuvres parlent ainsi, en un langage non formulé, à qui les contemple, les ressent ».

Avec aussi cette certitude : « La mission de l’artiste est de faire entendre quelque chose de l’éternité. C’est ce mystère que l’on côtoie dans une création, et qui, de façon humble, me bouleverse. Ainsi, ma foi grandit, comme ma confiance en moi, elles sont interactives. La première satisfaction étant mon émerveillement dans la réussite du projet de Dieu en moi… et que Dieu ait besoin de moi ».
Comme sont mystère aussi ses « méandres », déjà exposés à Saint-Denys, et réalisés avec des déficients mentaux avec qui il travaille depuis plus de vingt ans. Tous de « formes imparfaites, parce que nées de gestes malhabiles », et pourtant composant au final « un équilibre parfait, en vibration constante et…vivante ».
Propos recueillis par JLBB
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