Le Petit Cephalophore

dimanche, février 17, 2013

L'art de voir...


Comment reconnaître que nous sommes devant une œuvre d'art ? voire en matière d'art contemporain comment distinguer l'art... du canular ?
Pour tenter de répondre Le Petit Céphalophore s'est bien sûr tourné vers une de nos paroissiennes, Mme Simone Brunau, présidente d'honneur de la cité internationale des arts qu'elle a fondée en 1965 avec son mari Félix Brunau, puis qu'elle a dirigée durant de nombreuses années.

"Il n'existe pas d'expérience assurée ou de compétence absolue permettant de reconnaître l'œuvre d'art. C'est avant tout une part importante de sentiments et de sensibilité qui guide notre jugement. Puis ce sont le temps et la "vox populi" (au-delà des phénomènes de modes éphémères) qui permettront de dépasser le débat. Le temps fait en quelque sorte le tri. Finalement il en est de même dans la littérature et tous les arts."

- C'est un peu ce qu'affirme le professeur Keating (interprété par Robin Williams) dans le "Cercle des poètes disparus" lorsqu'il invite ses élèves à déchirer les pages du manuel Pritchard prétendant fixer les règles de la poésie ?
"Oui. C'est si difficile de juger pour les autres... J'ai eu la chance dans ma vie professionnelle de présider une commission qui chaque année devait sélectionner les artistes qui se portaient candidats pour être accueillis à la Cité pendant une ou plusieurs années. Pour certains, c'est cruel, mais au premier coup d'œil l'évidence s'imposait, on savait qu'il n'y avait rien et certainement par d'art, pour quelques rares artistes à l'inverse ce qui nous était présenté était tout simplement époustouflant, et puis il y avait tous les autres pour lesquels le débat s'imposait entre les différentes sensibilités des membres de la commission."

- Pour autant ne pourrait-on pas voir le beau comme un critère de l'art ?
"Non, certainement pas même si la tentation peut être présente. Il nous faut dépasser toute tentation de lien entre art et beauté, ce qui est beau n'est pas nécessairement art, et inversement. Par exemple il est aujourd'hui incontestable que Jérôme Bosch est un immense artiste du XVème siècle, et pourtant son style basé sur la caricature et le bestiaire est bien loin de ce que l'on pourrait qualifier de beau. La notion d'art est ainsi très relative, des choix de couleurs, une matière, une évocation, tant d'autres paramètres pour finalement nous ramener à un jugement individuel, qui sera repris -plus ou moins vite- par le nombre et par des esprits probablement plus aiguisés..."

- Des esprits plus aiguisés ? Voulez-vous parler d'une formation à l'art ? un apprentissage ?
"Assurément. C'est particulièrement vrai pour l'art pictural mais aussi pour la musique. Mon expérience auprès des artistes de la cité m'a amenée à constater qu'une véritable formation est le plus souvent indispensable à l'artiste pour progresser, de même qu’une longue pratique. Et quand il n'y a pas cette formation il faut alors que le grain de génie soit présent, mais c'est évidemment beaucoup plus rare."

- Quelles œuvres contemporaines vous touchent particulièrement ?
"Je suis tentée de citer Picasso, un choix certes facile mais qui me séduit, le Picasso des débuts, celui de la période bleue ou rose, puis le Picasso des dernières années. Mais j'ai du mal à entrer dans les œuvres du XXème siècle, avec peut-être des exceptions comme les fauvistes, ou Kandinsky. Je suis généralement plus facilement touchée par l'abstraction que par le figuratif si difficile et exigeant."

- A l'initiative de Mgr Lustiger, vous aviez organisé au couvent des Cordeliers, une exposition dans le cadre d'Art Culture et Foi qui avait suscité des passions et réactions contradictoires. Comment appréhendez-vous le lien entre création et transcendance ?
"J'ai un souvenir encore très présent de cette exposition. Bien accueillie dans les milieux artistiques elle avait déchaîné en effet des réactions véritablement violentes (jusqu'à la destruction d'œuvres) de certains milieux catholiques. Il nous faut pouvoir admettre que la transcendance ne s'exprime pas nécessairement par des auréoles sulpiciennes... A l'inverse il y a bien sûr également des artistes qui recherchent, consciemment voire inconsciemment, la provocation pure et témoignent en fait de leur incapacité à exprimer l'inexprimable. Ils finissent souvent par renoncer à une expression véritablement spiritualisée, et à l'ascèse qui l'accompagne. J'apprécie beaucoup quelqu'un comme Aurélie Nemours qui avait une foi profonde qu'exprimaient ses œuvres minimalistes, de petite taille et très élémentaires.
Il nous faut aussi opérer la distinction entre foi et spiritualité. Une spiritualité peut ainsi bien souvent être exprimée par des artistes qui n'ont pas la foi mais éprouvent un besoin de dépassement. Dans nos paroisses nous devons apprendre à être tolérants. Cela ne signifie pas nous abandonner à la provocation, mais admettre que la foi est quelque chose qui s'exprime si difficilement qu'un artiste en chemin pourra témoigner de son attirance pour la spiritualité par des voies diverses probablement encore bien éloignées de ce que nous catholiques appelons la foi. Pour un Fra Angelico à la foi et au génie artistique évidents, combien d’artistes ont peint des œuvres mineures, le plus souvent sur commande et qui ne témoignent pas véritablement d'une foi personnelle ? Mais il y a aussi dans les œuvres d’art religieux une proportion tout à fait considérable d’œuvres anonymes, notamment dans la statuaire du Moyen-âge, qui témoignent de la part de leurs auteurs d’une foi profonde. "
Propos recueillis par Philippe Th.


 

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